Prenez sa politique sur l’Iran. En réalité, il n’y a guère de choix. Nétanyahou n’a pas d’autre politique à proposer.
Selon lui, l’Iran représente un terrible danger pour Israël. S‘il se dote de l’arme nucléaire – à Dieu ne plaise – il s’en servira pour anéantir Israël. Il faut l’arrêter à tout prix, de préférence par une intervention armée américaine.
Ceci peut être tout-à-fait faux (comme je le crois). Mais c’est sensé.
Alors qu’a fait Nétanyahou ?
PENDANT DES ANNÉES il a alerté le monde. Chaque jour on entendait l’appel : Sauvez Israël ! Empêchez la destruction de l’État juif ! Empêchez un nouvel Holocauste ! Empêchez l’Iran de produire la bombe !
Le monde n’y a pas prêté la moindre attention. Il était occupé à bien d’autres choses. Il y a pléthore de crises partout, en permanence. Des crises économiques. Des fléaux. Le réchauffement climatique.
Mais Nétanyahou n’a pas lâché prise. Il s’est servi de toutes les tribunes, de la Knesset au Congrès des États-Unis, pour crier son message.
À la fin, de guerre lasse, le monde y a prêté attention. OK, les Juifs mettent en garde contre la bombe iranienne ? Faisons donc quelque chose pour l’empêcher. Pas seulement quelque chose. Rassemblons toutes les grandes puissances du monde pour obliger l’Iran à mettre un terme à cette folie.
Et elles l’ont fait. Les USA, la Russie, la Grande-Bretagne, la France et l’Allemagne – pratiquement le monde entier – ont exigé de l’Iran qu’il engage des négociations.
Il n’y avait qu’un seul objectif : empêcher l’Iran de se doter de la bombe. Rien d’autre ne comptait. En comparaison de cette énorme question tout le reste était insignifiant.
Et il s’est alors produit quelque chose d’inattendu. Le système politique de l’Iran a remplacé son président braillard par un autre très différent : un homme politique au discours modéré, tout à fait raisonnable. Des négociations ont été engagées et l’Iran a délégué pour les conduire un diplomate encore plus modéré, particulièrement raisonnable. Les ministres des Affaires étrangères du monde étaient ravis.
Après un jeu de discussions serrées, l’Iran a accepté un accord. Le monde obtenait, plus ou moins, tout ce qu’il voulait. Pas de bombe pour longtemps. Des procédures de contrôle très rigoureuses. (Elles n’étaient pas vraiment nécessaires. Les techniques modernes d’espionnage peuvent déceler rapidement toute activité de préparation d’une bombe.)
TOUT LE MONDE ÉTAIT heureux. Tout le monde, c’est vrai, sauf Nétanyahou. Il était furieux.
Quelle sorte d’accord est-ce là ?
Les Iraniens vont avoir la bombe. Si ce n’est pas maintenant, ce sera dans 15 ans. Ou dans 25 ; ou dans 50.
Les Iraniens vont tricher ! Les Iraniens trichent toujours ! Il ne peuvent s’en empêcher ! Ils ont ça dans le sang ! (Ce n’est pas comme nous qui avons fabriqué des dizaines d’armes nucléaires en secret. Après l’Holocauste, nous avions le droit de faire ce genre de choses.)
Et de toutes façons, même s’ils n’obtiennent pas la bombe, les Iraniens obtiendront la légitimité. Et de l’argent. Ils apporteront leur soutien aux terroristes anti-israéliens, comme le Hezbollah et le Hamas. (Pas très convainquant, alors que Nétanyahou avait exigé de se préoccuper de la bombe et de rien d’autre.)
L’énorme machine de propagande israélienne a été mise en branle. Le terrible accord est dénoncé à grands cris sur tous les toits. Bien sûr, nous savions depuis toujours que Barack Obama est antisémite, comme John Kerry. Maintenant nous en avons la preuve.
En réalité la partie est jouée. Bibi ne peut pas faire disparaître un accord signé par le monde entier en soufflant dessus. Il sera là, même si le Congrès des USA vote contre et passe outre au véto présidentiel. Le monde en a assez des caprices de Nétanyahou. L’homme a eu ce qu’il voulait, alors quoi maintenant ?!
Je pense que les Iraniens ne voulaient pas beaucoup la bombe de toute façon. D’après tout ce que l’on peut constater, l’accord a provoqué la joie dans les rues de Téhéran. Le sentiment qui semble l’emporter est : « Grâce à Allah, nous avons fini par nous débarrasser de toutes ces absurdités ! »
MAIS LA bombe qui n’existe pas a déjà causé d’immenses dommages à Israël. Bien pires que si elle existait dans quelque sombre caverne.
Tous les Israéliens sont d’accord sur le fait que le principal capital dont dispose Israël est sa relation particulière, sans équivalent, avec les États-Unis. C’est unique.
Unique et sans prix. En matière militaire, Israël obtient les systèmes d’armes dernier cri, pratiquement pour rien. Non moins important, Israël ne peut mener aucune guerre pendant plus de quelques jours sans un pont aérien d’alimentation en munitions et en pièces de rechange depuis les États-Unis.
Mais cela ne représente qu’un petit élément de notre sécurité nationale. Encore plus importante est la conscience que vous ne pouvez menacer Israël sans affronter toute la puissance des États-Unis. C’est une protection formidable, que le monde envie.
De plus, chaque pays du monde sait que si vous voulez obtenir quelque chose de Washington DC, et en particulier du Congrès des États-Unis, vous avez intérêt à passer par Jérusalem et à payer le prix. Combien cela vaut-il ?
Et puis il y a le véto. Pas le petit véto qu’utilisera Obama pour neutraliser un vote du Congrès contre l’accord, mais le Grand Véto, celui qui bloque la moindre résolution du Conseil de Sécurité des Nations unies pour censurer Israël, même pour des actions qui en appellent à la justice céleste. Une occupation de 49 ans. Des centaines de milliers de colons qui violent le droit international. Des meurtres presque quotidiens.
Condamner Israël ? N’y pensez pas. Des sanctions contre Israël ? Vous voulez rire. Tant qu’Israël est protégé par la puissance des États-Unis, il peut faire ce qu’il veut.
C’est tout cela qui est maintenant mis en question. Peut-être le mal est-il déjà fait, comme des fissures invisibles dans les fondations d’un immeuble. L’étendue du mal pourrait n’apparaître que dans les prochaines années.
Une autre fissure invisible est celle entre Israël et une grande partie des Juifs à travers le monde, en particulier aux États-Unis. Israël se prétend « l’État-nation du peuple juif ». Tous les Juifs, partout dans le monde, lui doivent une allégeance inconditionnelle. Un puissant appareil d’« organisations juives » assure le contrôle des vassaux. Malheur au Juif qui ose s’opposer.
Ce n’est plus le cas. Une fissure s’est ouverte au sein du judaïsme, qui est probablement irréparable. Mis en demeure de choisir entre leur président et Israël, beaucoup de Juifs américains préfèrent leur président, ou se contentent de ne pas prendre position.
Quel est l’antisémite qui a manœuvré pour apporter tout ce mal ? Personne d’autre que le Premier ministre d’Israël lui-même.
EST-CE QUE CELA ennuie le monde ? Pas vraiment.
Les Israéliens croient que nous sommes le centre du monde. Mais ce n’est pas nécessairement le cas.
Tandis qu’Israël est obsédé par la bombe iranienne, de grands changements se produisent dans notre région. La rupture de 13 siècles presque oubliée entre sunnites et chiites est soudain réapparue partout. Cette rupture, presque aussi ancienne que l’islam lui-même, avait été masquée par l’ordre artificiel établi par le célèbre accord colonialiste Sykes-Picot pendant la Première guerre mondiale.
Ce qui arrive aujourd’hui est un séisme politique. Le paysage évolue de façon impressionnante. Des montagnes disparaissent, de nouvelles se forment. L’axe chiite, depuis l’Iran en passant par l’Irak et la Syrie jusqu’au Hezbollah au Liban est en train de prendre le dessus sur l’Arabie Saoudite et les États du Golfe. La Libye et le Yémen sont en pleine effervescence, l’Égypte revient à son glorieux passé pharaonique tandis qu’au milieu de tout cela une nouvelle puissance dresse la tête, le Califat islamique de Daech, qui séduit des jeunes musulmans dans le monde entier.
Au milieu de cette furieuse tempête, Nétanyahou est un homme du passé, une personne dont les perceptions ont été formés il y a des décennies, dans un autre monde. Au lieu d’aborder ce monde nouveau, avec ses grands dangers et ses grandes chances, il cherche à tâtons cette bombe qui n’existe pas.
Les États-Unis et les autres puissances occidentales changent prudemment de position. Ils ont peur de Daech – et il y a de quoi. Ils prennent conscience du fait que leurs intérêts deviennent plus proches de ceux de l’Iran et s’éloignent de ceux de l’Arabie saoudite. Le nouvel accord nucléaire s’intègre bien dans ce schéma. Pas le comportement perturbateur de Nétanyahou.
EN DISCUTE-t-on en Israël ? Bien sûr que non. Il n’y en a que pour la bombe, la bombe, la bombe. Les petites querelles entre les musulmans sont plus ou moins ignorées.
Sunnites, chiites – ce sont tous les mêmes. Des antisémites. Des négationnistes. Qui haïssent Israël.
Il y a pourtant des opportunités. L’Arabie Saoudite et les États du Golfe, tout comme l’Égypte, cherchent comment ils pourraient coopérer avec Israël. Dans le plus grand secret, naturellement. Personne ne peut serrer la main à Israël tant que les masses arabes voient tous les jours sur leurs écrans de télévision les méfaits des colons, les meurtres de l’armée d’occupation, l’humiliation de leurs frères palestiniens. Comme une lourde charge attachée à la jambe d’un nageur, l’occupation nous empêche de réagir aux changements qui se produisent dans la région.
Dernièrement, il y a eu des rumeurs de plus en plus insistantes sur des négociations secrètes entre Nétanyahou et le Hamas pour un armistice de huit ou dix ans, qui équivaudrait à un accord de paix officieux. Cela créerait un mini-État palestinien isolant ainsi encore plus Mahmoud Abbas et la majeure partie du peuple palestinien qui sont engagés dans le plan de paix arabe.
Tout cela dans quel but ? Pour développer les colonies et peut-être annexer une autre partie de la Cisjordanie (“la zone C”).
Alors l’homme est-il habile ou n’est-il qu’un idiot ? Un magicien ou juste un apprenti-sorcier ?